mardi 8 janvier 2013

Le Rêve de Lo, en souvenir de Jean Roger, que nous venons de perdre



Il y a 40 ans, j’ai fait un rêve. Au réveil je l’ai posé sur du papier. Et puis j’ai eu envie d’en faire un spectacle de marionnettes, alors j’ai passé une petite annonce dans Libé, à la recherche de marionnettistes. Et d’un musicien, parce que j’avais déjà une  belle expérience de marionnettes en papier mâché, géantes, manipulées à vue et accompagnées en direct par un musicien de jazz, Bernard Vitet. Il jouait de la trompette, et il avait composé de superbes chansons médiévales pour l’histoire que nous interprétions, Aucassin et Nicolette.
Il y a 40 ans, en octobre, Jean a débarqué dans mon salon, le grand Jeannot avec sa tignasse rousse frisée et sa moustache, sa grosse voix et son extrême gentillesse. Et aussi Jacqueline, un deuxième Gérard, puis Luc avec son saxo, et enfin Geneviève. On a poussé les meubles, on a installé une grande table sur des tréteaux, j’ai raconté mon histoire et on a commencé à modeler en terre nos personnages. Impossible de vous dire qui a fait qui. Nous avions une ligne, nous voulions des marottes -manipulées sur un bâton, donc- , même les corps seraient en papier mâché. C’était une vraie création collective, qui s’est mise en place au milieu de mes deux enfants, le groupe participant presque autant que leur papa ou moi à la préparation du biberon ou au change des couches. Bientôt nous avons dû trouver une salle plus grande pour contenir non seulement notre joyeuse bande mais de nombreux personnages, assez rigides, peints en vert, anonymes. Excepté Lo et le Bateleur.
Voici l’histoire, telle que je la récitais en début de spectacle, tandis que Luc improvisait sur son saxo (pendant ces quelques minutes ma fille s’endormait dans les bras de Jean, qui était le dernier à entrer en scène, il avait juste le temps de la poser dans un lit avant de s’emparer de sa marionnette).

Je suis LO. Je marche dans la rue, des badauds se groupent autour d’un homme. 
C’est un bateleur. 
De son sac, il sort des boites allongées, roses, à base triangulaire, et qui parlent.
Ce sont des voix de petites filles, des petites filles prisonnières des boites.
Je leur explique qu’il faut arrêter le bateleur. 
Les gens ne comprennent pas, ça les fait rire. 
Ils font semblant de me croire, ils jouent à l’arrêter…
Ils montent avec lui dans un train. Je suis dans le train moi aussi. 
Le train démarre et je vois le sac, abandonné sur le quai. 
Il a laissé le sac, les boites, les preuves.
Je me précipite dan leur wagon, je leur crie d’arrêter, le bateleur rit. 
Je suis prisonnière moi aussi. 

Dur, parfois drôle, pas vraiment « pour enfants » mais parlant de l’angoisse des enfants confrontés à des adultes qui ne les prennent pas au sérieux.

Il y a 40 ans, avec ce spectacle, notre troupe modestement appelée Le Bouche-Trou a participé à un concours de l’Union Internationale de la Marionnette, UNIMA France, et le 22 mai 1974, à Amiens, confrontés à 8 autres troupes –des vraies celles-là- nous avons été parmi les 3 sélectionnés pour la finale nationale à Paris en juin 74. C’est là que nous avons découvert le magnifique spectacle de Björn Fülher, Le voyage en mer. Bjorn a gagné le premier prix, bien sûr, mais face à lui nous étions drôlement fiers de notre prix spécial d’originalité.

Un peu plus tard notre groupe a éclaté, à l’issue d’une tournée d’été, mais ce que nous avions vécu, nos émotions, nos complicités, nos convictions aussi nous avaient soudés. En 40 ans, on a le temps d’en prendre, des chemins différents. Mais je ne suis pas seule à pleurer Jeannot. Tout Le Bouche-Trou le pleure. 

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