dimanche 18 avril 2010

Le volcan qui crachait du feu, ou le jeu des enfants avec la mort



Le redoutable Eyjafjöll dormait quelque part sur les terres d’Islande. Soudain il s’éveilla et se mit à cracher du feu… Un énorme nuage s’éleva haut, très haut, et loin, très loin, tous les gros oiseaux durent rester cloués au sol. Qu’en fut-il de la population qui vivait aux pieds d’Eyjafjöll ? Furent-ils inquiétés, brûlés, étouffés sous une couverture de cendres, perdirent-ils leurs maisons, leurs terres, leurs cultures ? Nul ne s’en souciait, on ne se préoccupait que des gros oiseaux qui ne pouvaient plus voler.

C’est sur une montagne au sud de l’Islande que vit Eyjafjöl, à 150 km de Reykjavik. Les gros oiseaux craignent les cendres qui s’élèvent haut dans le ciel, les bêtes au sol  risquent de mourir à cause des gaz qui s’échappent de ses naseaux, le glacier sous lequel se cachait ce monstre va fondre, et l’eau tout inonder. À la suite d'Eyjafjöl, peut apparaître Lahar. Lahar est un serpent brûlant qui descend de la montagne, entraînant la mort sur son passage. Déjà on l’a entendu éternuer, c’était comme une énorme explosion, et puis il a craché une colonne de vapeur d’eau  à 7 km de haut dans les airs…

Quand j’étais petite, un de nos jeux favoris était le jeu du volcan. Avec mon frère Vincent, et peut-être bien notre grande sœur Francine, nous passions des heures à dessiner sur un tableau noir, à la craie, une grande montagne sur laquelle vivaient des familles heureuses, des animaux bien nourris, poussaient des fleurs et des forêts. Nous dessinions avec minutie la maison de chacun, l’école et l’église, la poste et l’hôpital, les rues et les boutiques, les jardins et les bois. L’un de nous prenait alors une éponge humique, fermait les yeux, et se faisait guider la main au somment de la montagne. Le volcan se mettait à gronder, puis détruisait tout sur son passage tandis que l‘éponge effaçait, au hasard, maisons, hommes et bêtes. Celui qui tenait le rôle de la lave brûlante ouvrait alors les yeux, et nous constations les dégâts. Pour chaque personne tuée, nous faisions une jolie croix dans le cimetière, qui s’agrandissait à chaque coulée de lave représentée par l’éponge, et puis nous reconstruisions le village, tant bien que mal, nous nous occupions de soigner les blessés, réparer les maisons, planter de nouvelles fleurs.
Une fois le paysage redevenu paisible, l’un de nous, les yeux bandés, brandissait à nouveau l’éponge humide.
Nous n’avions de cesse de reconstruire, décorer, embellir notre montagne, et puis de détruire cette belle harmonie, enterrer « nos » morts, et recommencer. 
(J'ai emprunté cette image sur un site Freinet, n'ayant plus nos dessins sur le tableau noir, pardon et merci à l'enfant qui me "prête" ce dessin-là.)

Construire, détruire, encore et encore, c’est un jeu avec lequel les enfants se construisent. Les adultes ont tort quand ils interviennent d’un ton désapprobateur quand une tour en Kapla s’écroule « exprès » ou quand la collision de deux navettes spatiales aboutit à un amas informe de briques Lego. Ils devraient au contraire, s’ils ont envie de commenter l’événement, admirer cette chute vertigineuse, mais en enchaînant par un encouragement à reconstruire une tour encore plus grande, un vaisseau encore plus perfectionné.


Les jeux symboliques avec la mort inquiètent les grandes personnes. Combien d’angoisses pourtant s’apaisent par la réalisation de ces cimetières plus ou moins « pour de faux »
Corentin et Basile, qui jouaient énormément aux Playmobil, avaient installé une ville Far West entière, avec le saloon et l’école, la banque, la prison dans le bureau du shérif, le fort des tuniques bleues et le camp indien un peu plus loin, les diligences, les chevaux, les bisons, tout. Il ne manquait dans les boites Playmobil qu’un lieu, bien présent dans les histoires de Lucky Luke qu’ils lisaient parallèlement, c’était le cimetière. Pas facile en effet pour le fabricant de proposer à la vente la boîte cimetière, pas facile à un adulte de l’offrir à ses enfants ! Mais il fallait bien dans les histoires, après le duel ou l’attaque de la banque, enterrer les morts. Ils se fabriquaient donc  de jolies petites croix, quand ce n’était pas le gibet pour pendre le condamné à mort… sauvé in extremis, je vous rassure, par le héros qui coupait la corde d’un coup de revolver (en tout cas si un adulte trop sensible, comme leur mère, était témoin, par hasard, de la scène…).

Comme beaucoup d’enfants, j’ai pleuré devant une petite bête morte : un oiseau tombé du nid, un serpent aplati par une voiture, et je me suis consolée, et remise de cette émotion pourtant très forte, en creusant une petite tombe, en recherchant une boite en carton de la bonne  taille pour faire le cercueil (je me souviens de la boite d’un tube de néon pour un serpent), en fabriquant une croix, en décorant la petite tombe avec des fleurs ou de petits cailloux. Comme Michel et Paulette, les deux enfants de Jeux Interdits, un film de 1951 dans lequel jouait Brigitte Fossey, 5 ans.




Je me demande parfois ce qui fait la différence entre « être enfant » et « être adulte ». Voilà une différence. La mort me bouleverse toujours autant – je ne parle pas seulement de la mort d’un être cher, ni même de la mort d’un être humain, mais de la mort « anonyme » en quelque sorte -, pourtant je crois que je ne saurais plus calmer mes émotions ni maîtriser mes angoisses par le jeu. Faire semblant ne « marche » plus. Mais j'approuve ces jeux d'enfants. Ils sont d’autant plus importants dans notre société où la mort est quotidienne  dans les médias– dans les jeux vidéo, dans les séries télé policières, et, mélangée aux autres images, dans les infos - et tabou, inexistante, tue dans le discours quotidien des adultes face aux enfants. 

jeudi 8 avril 2010

Tant de plaisir à jouer en famille

« Jouez en famille ! », c’est une pub pour des jeux de société aperçue à la télé, que je regarde si peu que vous allez peut-être me dire que cette pub paraît depuis longtemps…Mais pour moi, c’est nouveau.  Dans les années 80 déjà je me souviens d’une pub (pour le Trivial pursuit, je crois) où un malheureux joueur arrivé en retard attendait sous la pluie que les autres, passionnés par le jeu, prennent garde à lui et lui ouvrent la porte. Mais ce qui est nouveau, c’est le conseil : « Jouez en famille ! ». Dans la série Conseils aux consommateurs , après « à consommer avec modération » et « mangez des fruits », les jeux (pas les jeux vidéo, pas les jeux en ligne) trouvent une petite place, comme si tout à coup on s'apercevait de l'importance du jeu dans une vie équilibrée, on doit s’en réjouir je suppose.

On voit sur ce clip des enfants et des adultes qui se donnent rendez-vous pour jouer en fin de journée, et j’aime bien cette idée. On dit que le meilleur dans le week-end, c’est le vendredi, et c’est je crois un plaisir que nous nous offrons de moins en moins, celui de l’attente, du désir, du rêve de ce qui va arriver. 

Jouer en famille à un jeu de société, ce n’est pas très simple. Outre le fait qu’il faut trouver le temps, et le temps commun à tous, le problème est surtout de trouver le jeu qui convient. Il s’agit en effet de jouer tous ensemble. Or par définition, à l’encontre des joueurs qui jouent entre pairs, copains de classe ou de vacances, les joueurs « en famille », mis à part les jumeaux, sont d’âge, de compétence et de centres d’intérêt différents. Un des principes fondamentaux du jeu, c’est l’égalité des joueurs au départ, qui garantit  l’incertitude (le jeu au sens de jeu dans un engrenage). Si je joue avec des joueurs de niveau différents, que je sois sûre de perdre, ou sûre de gagner, le jeu n’a plus grand intérêt, on peut même dire qu’il n’y a plus de jeu.

Comment faire pour jouer pour de vrai avec un petit ? Normalement, j’ai toutes les chances de gagner, mais pour lui faire plaisir je fais en sorte que ce soit lui qui gagne. Croyez-vous que l’enfant soit dupe longtemps? Il voit bien que je le laisse gagner, ce n’est plus du jeu. Et qui plus est, pour qu’il gagne, je triche !

Pour jouer avec de jeunes enfants à égalité, il faut choisir des jeux où ils sont plus forts que vous, comme les jeux de mémoire, ou des jeux de hasard pur. Alors l’enjeu est réel, le jeu aussi. 
J'aime bien Papa Boa (Piatnik) (De petits serpents en bois articulé font la course pour rattraper leur papa. Le hasard nous fait avancer 2 serpents à chaque coup, et pas toujours "le nôtre").

Sinon, il faut trouver des systèmes de handicap, posés clairement avant de commencer à jouer, par exemple enlever une ou deux pièces aux échecs au plus fort, dès le début de la partie – mais souvent cela ne plaît pas aux enfants, c’est reconnaître leur faiblesse, a priori.
A moins de jouer les alliances, former des équipes où petits et grands seront associés. Plus un jeu fait appel  à des compétences différentes – dessiner, mimer, mémoriser dans Le temps presse
par exemple – mieux chacun trouvera sa place et son plaisir. Cela met tout de suite de l’ambiance, aussi ; mais il faut être assez nombreux, pour constituer des équipes équilibrées.


Il existe aussi des jeux dits coopératifs où tous les joueurs sont unis contre un adversaire imaginaire. On perd ou on gagne tous ensemble. Les enfants connaissent presque tous le Verger (Haba) – Cueillette de fruits dans les petits paniers avant que le corbeau ne les mange – ou le Loup (Nathan, auteur Cilou Zelkine) – en chantant la comptine "Loup y es-tu ?, arriver au but avant que le loup qui s’habille ne sorte du bois. En fait il existe des jeux coopératifs pour tous les âges, certains cependant sont ennuyeux comme la pluie, à force de bons sentiments et d’intentions éducatives (souvent bio ou écolo).

Pascal Deru, propriétaire du magasin Casse-Noisettes en Belgique, et auteur du livre Le jeu vous va si bien, a créé T’chang 
(Lucioles à ramasser, animaux venimeux à éviter, « pas de salut tout seul! Si les joueurs ne s'entraident pas, il est vraisemblable qu'ils resteront prisonniers de la tombe impériale ».)

Mais jouer en famille, ce n’est pas seulement se regrouper autour d’un jeu de société. Faire la chasse aux œufs, coller des poissons dans le dos de papa et maman, attraper sa grand-mère avec une blague de 1er avril, jouer avec les mots, se déguiser, construire des cabanes, inventer une course aux trésors, improviser un spectacle  de cirque ou de danse (sans oublier la "vente" des tickets, surtout !) sont autant de façons de jouer en famille. 
Et même participer en téléspectateurs aux jeux télévisés, alliant esprit critique et convivialité.


Quel que soit le jeu choisi, l’important c’est le plaisir partagé et la complicité entre générations, dans un espace à part, instants précieux hors du quotidien.