mardi 22 mai 2012

Traduire Jacques Henriot : un défi à relever.


Deux journées – très différentes- étaient organisées par l’Université Paris XIII, les 4 et 5 mai 2012, pour fêter les 30 ans du DESS et rendre hommage à son créateur, Jacques Henriot – auteur de deux ouvrages, Le Jeu (1959) et Sous couleur de Jouer (1989).


Nous avions l’impressions d’avoir Raymond Devos devant nous
Le samedi, nous nous retrouvions entre anciens étudiants et enseignants. Jacques Henriot professeur, seule Christine Mathieu, responsable des ludothèques d’Orly, l’a évoqué. « Nous avions l’impressions d’avoir Raymond Devos devant nous » a-t-elle raconté, et c’est vrai. Mis à part que c’est un monsieur élancé et très élégant, c’était tout à fait ça. On en sourit encore, mais on en garde aussi une remise en question permanente de nos certitudes –dans nos métiers au moins. Quant au JEU, nous n’avons pas fini de nous interroger.

Le vendredi un colloque supervisé par Gilles Brougères et Elisabeth Delmas : neuf universitaires présentaient leurs travaux à l’aune de la pensée de Jacques Henriot
Les mots pour le dire
Jouant leur rôle de chercheurs, les intervenants avaient tendance à angliciser ou latiniser leurs propos : serious games, gamisation, gamification, ludification… Jacques Henriot, toujours courtois mais critique, en  aurait sans doute souri. On en oubliait le Jeu. Le Français a la particularité d’utiliser le même mot pour désigner le JEU comme objet (Je joue avec ÇA), comme pratique (Ça se joue comme ça) et comme attitude (Je JOUE, là). Utiliser PLAY ou GAME pour préciser de quoi l’on parle paraît donc utile, mais déjoue aussi la pensée de Jacques Henriot, qui s’appuie sur cette trilogie. Un philosophe ne joue-t-il pas toujours avec les mots ? De même l’homophonie entre Jouer, Jouet, Joué conduit-elle les orateurs à utiliser l’anglais, Play, toy, playing… Traduire Jacques Henriot paraît donc une gageure (1).
Sans parler du « jeu » au sens de distance, espace, mouvement, comme le jeu qu’il y a dans un mécanisme, dans une serrure, distance, espace, mouvement indispensables au Jeu selon Henriot.
Porte ayant du jeu cherche partenaire. 
Pierre Dac (petite annonce publiée dans L’Os à moelle, 1982, cité par Henriot)

« Le jeu n’est rien d’autre que ce que fait le joueur quand il joue » (Jacques Henriot)
Mathieu Triclot, de l’Université de Belfort Montbéliard, et Bernard Perron, de l’Université de Montréal, déplorent l’ignorance des écrits de Jacques Henriot dans les games studies, « qui se sont constituées sur une définition restrictive du jeu comme système de règles. »(M.Triclot). Il manquerait à la théorie du Game une théorie du Play, l’ ‘attitude ludique’.

Sous couleur de jouer, la gamification
Voilà nos chercheurs partis dans une réflexion, via les jeux Vidéo et les Serious Games, sur la gamification, où, sous couleur de jouer (sous prétexte de, avec l’apparence de jouer) on cherche à faire comprendre, à initier, à enseigner… Haydée Silva, de l’Université Autonome du Mexique, qui utilise le jeu dans la pédagogie des langues, s’en amuse, et s’en explique : « ‘Gamification’ serait pour certains ‘le buzz word de l’année 2010’. Né à la croisée des jeux vidéo et du marketing, ce néologisme désigne aujourd’hui l’élargissement du paradigme ludique à des domaines dont il est censé être habituellement exclu : travail, santé, éducation ». Joue-t-on alors ?



La gamification, c’est aussi l’utilisation d’une image de jeu, « La métaphore ludique » (c’est le sous-titre de Sous couleur de Jouer), pour décrire et comprendre le monde environnant. Le vocabulaire ludique est constamment utilisé dans la presse. Particulièrement  pour nos hommes politiques qui ‘jouent leur va-tout’, ‘perdent la première manche ‘, ‘jouent un double jeu’, sur ‘l’échiquier politique international’. Dans cette acception, il y a jeu car il y a règles, stratégie, but. Distance, aussi, certainement. Peut-être aussi parce qu’il y a duplicité, théâtralisation, rôle, voire tricherie. 
On ose espérer que nos représentants ne vont pas pour autant adopter ‘l’attitude ludique’, qu’ils ne sont ni dans le faire semblant ni hors de la réalité. Bref qu’ils ne se jouent pas de nous.

(1) On ne connaît qu’une seule traduction, de Le Jeu, et en japonais, selon Gilles Brougères. 


A lire à propos de Jacques Henriot, le travail de Sébastien GENVO :http://www.ludologique.com/wordpress/?p=271

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